31 octobre 2008

vu sur le site UFC-Que choisir : Les 6 principaux griefs contre le projet de loi Création et Internet

30/10/08
Loi Création et Internet

Les 6 principaux griefs contre le projet de loi Création et Internet



1) Un constat erroné

Le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création Internet est construit sur un postulat : le téléchargement est un danger pour les industries du cinéma et de la musique. Peut-on adhérer à une analyse aussi simpliste, qui conduit à faire du consommateur le coupable idéal ?

Pour parvenir à des mesures adaptées, il est essentiel de prendre un peu de hauteur sur le sujet et de démêler le vrai du faux.

En effet, une observation plus attentive de l'industrie des médias laisse apparaître quelques faits saillants que l'on ne peut ignorer. Tout d'abord, l'industrie de la musique ne souffre d'aucune crise. Seules quelques grandes maisons de disques, parce qu'elles refusent de s'adapter au monde du numérique, souffrent réellement. Les revenus issus du spectacle vivant ou même de la diffusion publique d'oeuvres augmentent régulièrement et sont conséquents. Seule la vente de support souffre, soit le CD, une technologie obsolète, et les fichiers numériques, vendus selon des formules peu attractives (prix élevé, DRM, etc.).

Du côté du cinéma, on est assez perplexe, car on est face à un constat : cette industrie se porte plus que bien ! Les entrées en salle progressent, la vidéo à la demande (VOD) a été adoptée par le consommateur et les abonnements aux bouquets satellites, tels ceux de Canal Plus, qui participent au financement du cinéma, se portent bien ! Bref, seule la vente de DVD semble souffrir. Mais avec l'arrivée de la HD et du Blu-ray, on ne peut douter qu'il existe encore un vrai potentiel commercial pour la vente de support.

Il est encore plus dur de comprendre pour quelle raison le cinéma français soutient cette loi, alors que le cinéma français est très peu téléchargé !

2) Un projet purement répressif

- Rien sur la suppression des MTP/DRM :

Le projet de loi ne valide pas la disparition des MTP dans les fichiers musicaux. Le gouvernement parie sur le bon vouloir des maisons de disque. Or, même si elles s'exécutent, cela n'empêche nullement qu'à terme elles les utilisent à nouveau. Quand on voit l'usage qu'en font certains acteurs, comme Apple, on ne peut que s'inquiéter. Par ailleurs, certains modes de diffusion, comme la VOD, ne sont possibles qu'avec des MTP et, une fois de plus, rien n'est prévu pour encadrer leur utilisation. Faut-il rappeler que les MTP, à l'exclusion des technologies d'Apple, sont le domaine réservé de Microsoft qui en use et en abuse, notamment pour barrer l'entrée sur le marché d'autres systèmes d'exploitation tels ceux basés sur Linux ?

- Rien sur le développement de l'offre légale :

Autre grand absent du projet, et pas le moindre : le développement de l'offre musicale. Pas une ligne sur le sujet, alors même que tout le monde a conscience qu'il est impossible de ramener les consommateurs vers des offres commerciales sans une remise à plat des formes de distribution. Le consommateur doit pouvoir avoir le choix et bénéficier de prix représentatifs de sa disposition à payer (environ 6,5 euros par album). Il est également évident que la musique ne peut échapper au modèle qui fonde l'industrie du numérique : le forfait. Tant que l'on ne développe pas un vrai marché de détail des fichiers numériques, tout ce qui sera fait ne sera que gesticulations stériles.

3) Une riposte totalement liberticide

- L'atteinte à la présomption d'innocence :

Le droit à la présomption d'innocence constitue l'un des aspects du droit à un procès équitable (art. 6 CEDH) et l'un des principes de base du droit pénal. Son respect s'impose aux membres d'une autorité administrative indépendante telle que l'HADOPI. En application de ce principe, « la charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé ».

Or, le projet de loi « Création sur Internet » établit trois causes d'exonération (moyens de sécurisation efficaces, force majeure et fait d'un tiers), l'abonné étant présumé coupable à défaut d'apporter la preuve de l'une d'entre elles.

L'inversion de la charge de la preuve porte ainsi atteinte au principe de la présomption d'innocence. Les présomptions de culpabilité en matière répressive ne peuvent être admises, selon le Conseil constitutionnel qu'« à titre exceptionnel [...] dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ».

La procédure de sanction prévue par le projet de loi ne respecte pas les conditions énoncées par le Conseil constitutionnel : elle enfreint le principe du contradictoire, qui est un droit de la défense, mais en outre, les moyens techniques ne sont pas aujourd'hui suffisamment fiables pour faire induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité.

- L'atteinte à la confidentialité des données personnelles :

La réforme proposée par le projet de loi « Création sur Internet » consisterait à permettre la consultation par tout fournisseur d'accès à Internet du répertoire national des abonnés faisant l'objet de la suspension de leur accès à Internet.

Or, pour être efficace, le dispositif suppose que soient rendus accessibles non seulement le nom de la personne qui a été sanctionnée, mais aussi les principaux éléments de son état-civil.

Le projet de loi instaurant une obligation de consultation de ce répertoire national à la charge de tout fournisseur d'accès à Internet avant la conclusion de tout nouveau contrat portant sur un tel service, il en résulterait la mise en place de traitements automatisés à l'échelle de tous les opérateurs concernés.

Par conséquent, la création de ce répertoire national accessible aux opérateurs est contraire au principe de proportionnalité et suscite de vives inquiétudes quant au respect de la confidentialité et de la finalité des traitements.

4) Un dispositif techniquement irréaliste

Le projet de loi souffre d'un certain manque de réalisme, notamment face à la difficulté technique que pose l'application de certaines de ses dispositions. Outre le filtrage que les fournisseurs d'accès à Internet estiment irréalisable dans de bonnes conditions techniques et financières, le texte fait l'impasse sur la difficulté de prouver que le consommateur mis en cause est réellement l'auteur des faits. Consommateurs et experts savent très bien qu'il est très aisé d'utiliser la connexion wi-fi d'un tiers. Pas besoin d'être un expert pour cela, il suffit de suivre « un mode d'emploi » comme il en existe des milliers sur Internet.

L'adresse IP ne peut pas faire foi non plus, car même si le consommateur utilise une connexion filaire, elle peut très bien être usurpée par un tiers. Par exemple, Pirate Bay, site dédié au téléchargement par peer to peer, a annoncé qu'il allait utiliser les adresses IP de consommateurs de bonne foi pour brouiller les pistes...

5) Un projet très onéreux mais non rémunérateur pour les artistes

- Le coût faramineux du projet de loi :

Le projet de loi est très coûteux pour la collectivité. La création de la Haute Autorité a un coût estimé à 6,5 millions d'euros, auquel il faut ajouter le coût supporté par les fournisseurs d'accès à Internet, qui, d'une manière ou d'une autre, retomberont à terme sur le consommateur. Selon certaines estimations, le projet de loi « Création et Internet » représente un coût annuel supérieur à 30 millions d'euros !

- Pas de nouvelle rémunération pour les artistes :

Autres grands perdants du projet de loi, les artistes et les créateurs. À aucun moment n'est évoquée leur rétribution, il n'est nullement fait mention de moyens visant à leur faire bénéficier du développement de l'économie du numérique. Les maisons de disques continueront d'empocher le gros des revenus (soit 60 % sur la vente des fichiers numériques) et les artistes et les créateurs se contenteront toujours de miettes (soit 5 cents pour les premiers et environ autant pour les seconds (1)).

6) Un projet contraire au droit communautaire

Le projet de loi traite de la question de l'encadrement des téléchargements de fichiers sur Internet. Or, au niveau européen, cette question fait l'objet de discussions au travers de la révision de la législation dite « paquet Télécom ». En effet, le Parlement européen a adopté fin septembre, à une très large majorité (573 voix pour et 74 voix contre), un amendement affirmant qu'aucune restriction aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux ne pouvait intervenir sans décision judiciaire préalable. La discussion de ce texte va se poursuivre jusqu'en 2009.

Si l'amendement du Parlement européen était confirmé par le Conseil des ministres, alors le projet de loi français serait contraire au droit communautaire. Le gouvernement tente d'affirmer que l'amendement du Parlement européen n'est pas en contradiction avec le projet de loi. Dans ce cas, pourquoi le président de la République serait-il personnellement intervenu auprès du président de la Commission européenne pour lui demander de le retirer ? Il y a bien une contradiction évidente entre les règles européennes en cours d'élaboration et le projet de loi français.





(1) : Pour être précis, la SACEM est rémunérée à hauteur de 7 cents. Après avoir prélevé sa part, elle partage le solde entre les auteurs et compositeurs.

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